CE QUE LES LECTEURS EN DISENT…
J'ai découvert ce livre par un contact direct de cette auteure sur ma page Facebook dédiée à la littérature et à l'écriture. Connaissant mon appétence pour les témoignages et autres récits de vie, elle m'a gentiment proposé d'avoir accès gratuitement à son livre à mi-chemin entre récit de vie et roman. Je tiens ici à l'en remercier.
C'est un livre d'autant plus touchant qu'il est écrit par la petite-fille de la personne dont il est ici question : Gustave Micheneau, vétéran de la Grande guerre (1914-1918). En effet, alors qu'elle n'avait que sept ans, elle a été confrontée en "direct live" pourrait-on dire aujourd'hui au suicide de celui-ci intervenu le 28 novembre 1963 à 13 h 55 (par défenestration dans l'appartement de son fils).
Un vrai choc pour elle comme pour toute sa famille qui, si elle n'ignorait pas la fragilité psychologique de Gustave consécutive à une "fatigue de guerre" non prise en charge au retour de son incorporation, ne se doutait pas qu'il pouvait passer à l'acte de façon si spontanée et brutale !
Qu'est-ce qu'une fatigue de guerre ?
Le dictionnaire des termes médicaux de 1914-1918 (Françoise Kern-Coquillat/CRID 14/18, publié en 2010) en précise la définition suivante : "Fatigue nerveuse (due aux veilles, au stress, aux retards dans l'alimentation, aux marches...), c'est une forme de cafard qui peut s'exprimer de façon exubérante ou de façon dépressive."
Ce qu'on appelle aujourd'hui Troubles de Stress Post-Traumatique (TSPT).
Il s'agit d'un écrit intime et de portée familiale, qui n'a pas forcément valeur de témoignage universel, mais qui pourtant renseigne utilement sur les conditions dans lesquelles toute une génération de jeunes hommes mal préparés a été clairement sacrifiée et confrontée aux horreurs d'une guerre absurde, et à la fois sur les conséquences que celle-ci a générées.
Par ailleurs, ce récit met aussi en exergue, à la fois la difficulté que les vétérans ont eue à exprimer leur ressenti à la suite de cette expérience (ce qu'on a pu voir également avec les ex-déportés au retour des camps de concentration) et la difficulté des membres d'une même famille à évoquer un épisode dramatique qui la concerne (et, avec elle, la tentation de se réfugier dans un non-dit douloureux et forcément préjudiciable pour la descendance).
En effet, Odile Micheneau a dû vivre avec le poids inconscient de cet événement familial dont elle n'a jamais compris les tenants et les aboutissants puisque plus ou moins passé sous silence par son entourage. Sachant combien il est important pour les générations suivantes de révéler les non-dits familiaux, Odile Micheneau a voulu briser les chaînes du silence, et à la fois redonner vie à la figure de son grand-père paternel pour lui témoigner tout le respect qui lui était dû (sa vie ne se résume pas à son acte désespéré), et redonner sens à cet événement dramatique qui, dit ou non dit, a forcément impacté les différents membres de sa famille (sa grand-mère, ses parents, ses frère et soeur et elle-même).
Sans doute a-t-elle voulu aussi, à travers ce témoignage, mettre l'accent sur l'importance d'être attentif à l'autre, de ne pas se murer dans le silence et de libérer la parole.
On notera qu'en parallèle à l'histoire de Gustave, un certain épisode de l'histoire de Madeleine (mère de l'auteure) est également évoqué : celle-ci a longtemps souffert d'une dépression nerveuse "cachée". En cela, comme dans un jeu de miroirs, les deux histoires se répondent en quelque sorte et soulignent l'affinité particulière qui existait entre Gustave et sa belle-fille Madeleine.
Pour ma part, je considère qu'il est toujours salutaire de mettre au jour des secrets de famille afin que ceux qui suivent ne soient pas (ou plus) porteurs d'une loyauté ou d'une douleur qui ne les concernent pas.
Sur la forme, ce livre est construit autour de trois parties :
1/ L'événement du 28 novembre en lui-même, raconté avec le "je" narratif, selon le point de vue de différentes personnes : Gustave, Suzanne (sa femme), Madeleine (sa belle-fille), Guy (son fils cadet), Louis (un jeune prêtre venu donner l'extrême-onction), Martial (l'inspecteur de police en charge du constat et du rapport), Odile (la petite-fille).
Ce croisement de différents témoignages est intéressant car il donne à voir la scène sous plusieurs angles et fournit, in fine, tous les détails utiles permettant de la comprendre et d'en mesurer l'impact.
2/ Les années d'avant l'événement :
Dans cette partie, seul Gustave est le narrateur. Il y raconte sa famille, son parcours scolaire, son métier de cultivateur, son enrôlement dans l'armée (classe de 1915), ses faits d'armes, sa blessure et ses suites, son mariage, son élévation sociale au sein de la SNCF jusqu'à son départ à la retraite.
Dans cette partie, on comprend mieux ce qui a été vécu par Gustave durant la Grande guerre et ses conséquences sur son physique et son psychisme. C'est un taiseux qui fera tout pour sortir de sa condition sociale initiale et pour se construire une vie que d'autres pourront lui envier. L'important pour lui c'est de tracer sa route, au risque d'être parfois, notamment avec sa femme et avec ses fils, un mari et un père autoritaire et secret.
Dans cette partie, j'ai été surprise de constater que quasiment rien n'est dit sur la façon dont Gustave et sa famille ont vécu la période 39-45, hormis la potentielle responsabilité de la SNCF dans les transports de déportés et un épisode de bombardements. Une ellipse volontaire car hors-propos ou un oubli de la part de l'auteure ? Pourtant, les événements liés à cette période auront sans doute eu un impact sur le psychisme de l'intéressé (ex : réactivation de certains traumas ?).
3/ Les années d'après l'événement :
Dans cette partie, Suzanne, Madeleine, Guy reprennent la parole pour évoquer la façon dont ils ont vécu l'après-suicide de Gustave, ainsi qu'Odile qui précise les circonstances qui l'ont amenée à vouloir écrire cette histoire-là et les démarches effectuées par elle pour enquêter et aboutir.
J'ai noté, dans ce livre, une absence notable : celle de la parole de Raymond, le fils aîné. Peut-être l'auteure a-t-elle voulu seulement organiser son propos autour des seuls témoins directs du drame.
Ce récit-roman (faute de témoignage direct parfois, il a fallu se documenter et broder à partir de faits relatés par d'autres...) de 147 pages se lit très rapidement, tant il est clairement construit et bien écrit. L'écriture est fluide, le registre de langue est simple et les descriptions suffisamment évocatrices pour se faire une opinion des lieux, des faits et des ressentis.
Les personnes intéressées par la Grande guerre et par les récits de vie y trouveront certainement un intérêt. Rien n'est moins sûr pour les autres. Pour ma part, je suis heureuse d'y avoir eu accès car, une nouvelle fois, il me conforte dans l'idée de la nécessité de la transmission (écrire ou orale) de l'histoire familiale vers les plus jeunes générations.
Gustave raconte à travers Odile, sa vie, ses espoirs, ses peurs, ses doutes, sa descente aux enfers... Odile, avec des mots puissants, touchants et émouvants, nous livre une partie tragique de sa vie...
Pourquoi ? Pourquoi Gustave a-t-il choisi d'en finir ?
Combattant de la grande guerre, il en a vu et vécu des atrocités, et cela a beaucoup joué sur sa santé mentale et physique...
Alors peut-on lui reprocher d'avoir voulu voler, se sentir libre, plusieurs années, après ?
Au fil des pages, nos interlocuteurs changent, Gustave, Suzanne, Madeleine, Guy, Louis, Martial, Odile.
Ils prennent chacun leur tour la parole pour nous donner leur ressenti, leurs émotions, leur point de vue, sur une situation identique, mais que tout le monde voit différemment...
C'est un livre aux émotions fortes qu'Odile nous met entre les mains...Émouvant et touchant, on s'attache à cette famille ordinaire et extraordinaire à la fois...Comment ne pas avoir le cœur serré en lisant les lignes d'une petite fille adulte ??? Pour moi, c'est un récit de vie coup cœur parmi toutes mes lectures de cette année...
Merci Mme MICHENEAU de l'avoir partagé avec moi et avec vos futurs lecteurs...